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Focus : les Fab Labs en France

Un Fab Lab est un site d’échange en accès libre autour de la réalisation d’objets plus ou moins complexes par l’utilisateur (proche du DIY « Do It Yourself », ou à la française « système D ») à l’aide principalement de machines numériques et avec une méthodologie particulière liée au partage des expériences et des informations.

Par François PIUZZI - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Retrouvez l’article complet dans Photoniques n°82, juin-août 2016.
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Qu’est ce qu’un Fab Lab : c’est un Laboratoire de Fabrication. La définition et les règles de leur fonctionnement se trouvent dans la charte des Fab Labs mise en place par le MIT. Un très bon article leur est consacré sur Wikipedia.

Pour résumer, un Fab Lab est un site d’échange en accès libre autour de la réalisation d’objets plus ou moins complexes par l’utilisateur (proche du DIY « Do It Yourself », ou à la française « système D ») à l’aide principalement de machines numériques et avec une méthodologie particulière liée au partage des expériences et des informations.

Le site met à disposition (après que l’utilisateur ait effectué une formation) une panoplie de machines numériques :

  • une découpeuse laser,
  • une fraiseuse,
  • une imprimante 3D,
  • l’incontournable fer à souder,
  • ... et des outils de modélisation numérique.

Pour certains sites, il y a également l’accès à la plateforme électronique Arduino et aux micro-ordinateurs Raspberry Pi. Différents matériaux peuvent être utilisés, bois, métaux, plastiques, etc. Les activités dont nous ne parlerons pas ici sont celles concernant la couture, la décoration et la cuisine. Les compétences multiples qui y sont regroupées en font un endroit transdisciplinaire. Une formation à l’utilisation des logiciels de création d’objets en 3D comme Openscad (on ne devient pas designer 3D d’un coup !) est également assurée, ainsi qu’une formation à l’utilisation des logiciels de pilotage des machines et une formation au logiciel Python qui est le langage utilisé dans les micro-ordinateurs Raspberry Pi. Le développement de logiciel pour les modules électroniques de la plateforme Arduino en fait également partie. Les objets fabriqués sont très divers allant de la toupie à l’objet intelligent (quelquefois connecté) comme le robot ou la main articulée pour prothèse. Dès qu’un projet est terminé, il est demandé qu’une documentation soit établie pour que le projet puisse être publié sur internet.

Les avantages de ces sites de fabrication d’innovations sont multiples : ils sont ouverts à tous (pas d’élitisme), permettent des échanges entre utilisateurs notamment autour de compétences techniques ou logicielles, l’émergence d’idées nouvelles ; le lancement de concours sur des thèmes précis permet souvent d’arriver à des solutions originales et pour des coûts très bas. Ce mouvement incite également à une certaine frugalité. Il faut remarquer que cette approche participative induit une augmentation de la créativité. La panoplie de machines disponibles rend possibles des prototypages rapides, ce qui permet la correction des erreurs et l’amélioration rapide du modèle initial. Enfin, la dimension démocratique est également une caractéristique importante des Fab Labs, ainsi que la réalisation de projets qui ne présentent pas ou peu d’intérêt pour une logique marchande comme des dispositifs d’aide pour les personnes handicapées. Un point important est que les Fab Labs se basent sur une communauté où les utilisateurs prennent part à la capitalisation des connaissances et à la formation et aux échanges avec les autres utilisateurs.

Qui utilise les Fab Labs ?

Côté utilisateurs : le mouvement a démarré avec beaucoup d’artistes, designers, architectes, anthropologues, des experts en programmation, informatique, de jeunes bricoleurs et bidouilleurs de 10 à 90 ans, curieux, avides de fabriquer des objets personnalisés et conçus par eux-mêmes et de trouver avec qui se former et échanger. Il ne faut pas oublier les hackers pour qui c’est aussi l’occasion de faire un pied de nez au système en détournant la technologie et en trouvant des solutions frugales et innovantes à certains problèmes.

Côté permanents : ce sont des passionnés, soit issus du mouvement associatif, soit du personnel universitaire pour le cas des Fab Labs universitaires, soit des étudiants bénévoles, etc.

Pourquoi émergent-ils maintenant (en fait depuis quelques années) ?

Les coûts des machines numériques ont beaucoup baissé, en particulier celui des imprimantes 3D. Pour celles-ci, ceci est dû à ce que le brevet de l’impression additive est tombé dans le domaine public. De nombreux intervenants se sont emparés d’une technologie désormais mature et peu chère pour développer des modèles grand public. Les évolutions comme la plateforme électronique Arduino, les micro-ordinateurs Raspberry Pi sont caractérisées par des coûts très faibles. Il y a eu aussi une convergence avec le mouvement open source et les aspects collaboratifs et participatifs. Il faut aussi remarquer qu’en Europe l’habitat est très différent de celui de la Californie où les populations disposent d’une importante surface de bricolage alors que ce n’est pas le cas en Europe où l’habitat est plus densifié.

Imaginer, fabriquer, partager ses idées et ses savoir-faire, construire une communauté

La « philosophie » du Fab Lab implique un changement total de paradigme avec la fabrication industrielle classique car d’une part on ne fabrique que ce qui est nécessaire et avec le minimum de matière, d’autre part il n’y a plus de notion de brevet, les innovations étant partagées sous une « licence » du type creative commons ou d’une manière collaborative. Cela induit donc des avantages puisqu’une innovation peut évoluer grâce à des modifications impulsées par de multiples collaborations, par contre, il n’y a plus de propriété industrielle. Cela implique que ce mouvement n’est pas pour l’instant adapté à la production en grande série, ni à la société marchande (ou capitaliste). Il faut aussi remarquer que les imprimantes 3D « grand public » ne peuvent utiliser pour l’instant que de la matière plastique (ou des plastiques chargés en poudres métalliques), ce qui constitue une autre limitation. L’impression 3D de montures de lunettes est très populaire que ce soit par l’amateur ou le professionnel.

Monture de lunettes à imprimer en 3D proposée sur le site Thingiverse (https://www.thingiverse.com/thing:1545458).

L’aspect réseau des Fab Labs (environ 500 à 600 dans le monde) est aussi une caractéristique importante car il permet une circulation très rapide des innovations technologiques, plus rapide que dans le système marchand où la survie de l’entreprise est liée au secret.

La carte établie par l’association Makery permet d’avoir une idée de la répartition des Fab Labs français, des hackerspaces, des « Fab Labs entreprises » etc… Nous allons de manière non exhaustive en ressortir quelques exemples intéressants :

Il existe aussi des Fab Labs mixtes, dont le financement associe fonds publics et fonds privés, souvent issus de fondations.

Entreprise et Fab Lab

Dans certaines grandes entreprises la taille peut constituer un handicap pour le domaine de l’innovation car il est possible que des rigidités structurelles empêchent une collaboration multidisciplinaire efficace. C’est pour cela que certaines entreprises ont développé leur Fab Lab interne (c’est le cas de Renault), car cela permet une accélération de l’innovation par une augmentation du dialogue, des interactions et des échanges plus efficaces tout en maintenant la propriété industrielle au sein de l’entreprise. Le cas du i-Lab d’Air Liquide est également très intéressant.

Micro balance à quartz open source (http://openqcm.com).

Fab Lab, science citoyenne et développement

Le mouvement commence à s’intéresser aux technologies permettant d’arriver à des coûts abordables pour d’une part développer des instruments open source pour la caractérisation des problèmes environnementaux (science citoyenne), et d’autre part pour ce qui concerne l’instrumentation scientifique pour les pays en voie de développement. Dans la première catégorie se trouve la structure PublicLab fondée par le MIT dont le but est de développerdes kits d’instruments pour une démocratisation de la science ; dans la deuxième, on trouve le Scientific Fab Lab de l’ICTP, les « filles » de Gyne Punk qui créent des outils à bas coût pour la gynécologie et le GaudiLab qui propose toute une série d’instruments de laboratoire pour la biologie avec l’originalité d’inclure des composants recyclés dont le remarquable dispositif de pinces optiques (voir figure). Un exemple très récent est celui du Fab Lab associatif parisien, Echopen, avec la réalisation d’un écho-stéthographe à moins de 200 € qui est soutenu par la fondation Pierre Fabre.

Des Fab Labs se sont créés ab initio sur le continent Africain comme le Woelab à Lomé (Togo) qui a construit sa propre imprimante 3D à partir de rebuts d’informatique (imprimantes, scanners, etc.). En ce qui concerne l’instrumentation scientifique proprement dite (principalement appuyée sur la photonique) le mouvement Fab Lab a été influencé par le mouvement open science hardware dont un atelier réunissant plusieurs acteurs s’est déroulé au CERN début mars 2016. À cette occasion, le journal Nature s’est intéressé à ce mouvement [1].

Pinces optiques (laser tweezer, www.gaudi.ch).

On peut trouver des milliers de projets réalisables dans le cadre d’un Fab Lab dont beaucoup avec une ambition scientifique, des éléments pour l’éducation scientifique et la vulgarisation dans des sites tels que Instructable, Thingiverse, Make, etc.

Quel est l’avenir des Fab Labs ?

L’avenir semble résider dans la « fabrication d’innovations » qui résultent de l’augmentation de la créativité au sein des Fab Labs. Leur liaison avec le système start-up est à étudier. Si le modèle économique est encore à inventer, on peut penser qu’ils seront à l’origine de « l’artisanat numérique de demain » et que cela permettra peut-être de préserver des emplois en France. Sur ce sujet, on peut consulter un article récent du Monde [2].

Références

[1] Elizabeth Gibney, ‘Open-hardware’ pioneers push for low-cost lab kit, Nature 531 (10 mars 2016)

[2] Didier Géneau, Sophy Caulier, L’industrie se fie à l’impression 3D, Le Monde Économie (14 mars 2016)