Réédition de l’Essai d’optique de Pierre Bouguer

Réédition de l’Essai d’optique de Pierre Bouguer

Publié en 1729, l’Essai d’optique sur la gradation de la lumière de Pierre Bouguer est réédité aux éditions Light ZOOM Lumière. Le texte, les équations et les figures ont été transposés par Lionel Simonot pour que l’ensemble soit compréhensible pour les lecteurs d’aujourd’hui.

Approche cartésienne pour mesurer la lumière

Pourquoi fait-il froid en hiver et chaud en été ? C’est la question à laquelle tente de répondre en 1721 Jean-Jacques Dortous de Mairan, savant reconnu et membre de l’Académie royale des sciences. Parmi les causes envisagées, la différence d’exposition de notre planète au Soleil en fonction des saisons. Et ça serait bien, ajoute-t-il sous forme de challenge, d’estimer cette différence de manière quantitative autrement qu’au doigt (ou à l’œil) mouillé. Pierre Bouguer, alors jeune professeur d’hydrographie dans sa ville natale du Croisic, relève le défi. Il opte pour la méthode cartésienne : diviser en problèmes élémentaires plus simples, et agencer de manière logique les différentes étapes de la démonstration.
1. L’éclairement en un point varie en inverse de la distance au carré de la source lumineuse à ce point.
Cette loi dite des carrés inverses permet d’associer une variation de luminosité à une simple mesure de distance.
2. L’œil humain est un bon comparateur de luminosités.
Nous pouvons affirmer qu’une source de lumière est plus intense qu’une autre mais nous ne pouvons pas estimer précisément de combien. La mesure n’est possible qu’en cas d’égalisation visuelle des éclairements entre deux zones adjacentes illuminées simultanément par les deux sources de lumière à comparer.
Une fois l’égalisation des éclairements assurée, le rapport des intensités lumineuses est égal au rapport des distances au carré. CQFD. La méthode de Bouguer supplante les tentatives antérieures très empiriques de mesure d’une quantité de lumière.

Éclairement apporté par le Soleil en hiver et en été

Ce principe de mesure, aussi rationnel soit-il, ne suffit pas. Il faut aussi le mettre en pratique. Pour établir l’égalisation des éclairements, il est nécessaire d’utiliser une source auxiliaire que l’on puisse déplacer. Par exemple, une bougie. Celle-ci deviendra l’unité d’intensité lumineuse avant d’être remplacée par la candela dans le système international des unités au XXe siècle.
Mesurer l’intensité lumineuse du soleil aux solstices d’hiver et d’été pose d’autres problèmes pratiques à Bouguer. Il faudrait attendre six mois entre les deux mesures, et surtout la luminosité du soleil est beaucoup trop importante comparativement à celle des chandelles dont dispose le savant. Astucieusement, Bouguer va considérer la pleine lune plutôt que le soleil. À des hauteurs identiques, la lumière des deux astres traverse bien la même épaisseur d’atmosphère et diminue par conséquent de la même proportion.
Tout est précisément consigné par Bouguer. La mesure consiste à comparer la lumière de la pleine lune à celle de 4 chandelles. L’opération a lieu lors de 2 nuits consécutives : le 23 novembre 1725 vers 10 heures et demie du soir et la nuit suivante vers 3 heures du matin pour des hauteurs de pleine lune correspondant à celles du soleil aux solstices d’hiver et d’été au Croisic. L’intensité lumineuse de la première correspond à environ deux tiers de la seconde.

La photométrie, une nouvelle discipline sans applications

Quantifier correctement une grandeur par essence subjective sans autre photodétecteur que l’œil de l’observateur : la méthode de Bouguer est révolutionnaire. Mais avec honnêteté, Bouguer constate également que les applications sont limitées. Seule la pleine lune convient : le soleil est trop lumineux et les autres étoiles ne le sont pas assez. Il faut attendre le XIXe siècle et la nécessité de caractériser les becs à gaz en éclairage public pour que fleurissent des photomètres fonctionnant selon le principe de Bouguer.
Un des mérites du savant est d’avoir poursuivi ses recherches. Il constate que sa méthode permet aussi de mesurer la proportion de lumière traversant un matériau transparent. Il présente ses mesures pour des plaques de verre, et pour de l’eau de mer.

Pour en savoir plus :
https://www.lightzoomlumiere.fr/article/la-nuit-ou-pierre-bouguer-inventa-la-photometrie/
https://www.lightzoomlumiere.fr/livre/essai-d-optique-sur-la-gradation-de-la-lumiere-pierre-bouguer/
Article en accès libre :
L. Simonot, “Premières mesures photométriques : De Léonard de Vinci à Pierre Bouguer,” Photoniques 105, 25-27 (2020). https://doi.org/10.1051/photon/202010526